Dépêche

L'Argentine en défaut de paiement crie à l'injustice

Buenos Aires (AFP) - L'Argentine, confrontée à un défaut de paiement sur sa dette, certes partiel mais aux conséquences imprévisibles, crie à l'injustice, met en doute l'indépendance de la justice des Etats-Unis, alors que d'ultimes tractations se déroulent à New York.

Les négociations entre une délégation gouvernementale argentine et deux de ses fonds créanciers ont échoué, mais il subsiste l'espoir d'une solution impliquant des banques, dont l'américaine JPMorgan ayant proposé de racheter la dette.

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Le juge américain Thomas Griesa, chargé du dossier depuis 10 ans, a convoqué une nouvelle réunion pour vendredi à New York.

Cela n'a pas empêché l'agence de notation Fitch de déclarer jeudi la dette argentine en "défaut partiel", à la suite de quoi la Bourse de Buenos Aires perdait 8,40%, après avoir flambé mardi et mercredi.

Jeudi matin, le chef du gouvernement argentin Jorge Capitanich a dénoncé le parti-pris de la justice. "Si le juge est un agent des fonds spéculatifs, si le médiateur (judiciaire) est un agent à eux, de quelle justice parle-t-on ? Il y a dans cette affaire une responsabilité de l'Etat, des Etats-Unis, qui doivent garantir les conditions d'un respect sans restriction de la souveraineté des pays".

L'Argentine envisage de saisir des instances judiciaires internationales "pour faire valoir ses droits", a assuré M. Capitanich, "cela ne peut pas continuer indéfiniment".

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Dans un pays déjà fragilisé par la récession, 30% d'inflation et un déficit budgétaire, l'inquiétude monte, même si la situation est loin d'être aussi grave que lors de la crise de 2001.

Le défaut de paiement porte sur 539 millions de dollars, une somme versée par la Banque centrale d'Argentine le 26 juin, bloquée à New York par une décision judiciaire. Buenos Aires continue de payer ses autres créanciers, alors qu'en 2001, l'Argentine s'était déclarée en défaut pour 82 milliards de dollars.

Les discussions à New York ont tourné au dialogue de sourds. Les fonds "vautours" et le juge Thomas Griesa ont mis en avant que l'Argentine devait respecter la loi des Etats-Unis et appliquer un jugement lui ordonnant de payer 1,3 milliard de dollars à deux fonds américains.

Pas de panique

De son côté, l'Argentine martèle que si elle s'exécute, elle viole une clause figurant dans les contrats de la dette restructurée en 2005 et 2010 libellés à New York, spécifiant que tous les créanciers doivent bénéficier des mêmes conditions de remboursement.

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La décision de la justice américaine ordonnant à l'Argentine de payer 100% de la valeur des bons à NML et Aurelius contrevient à cette clause, car 93% des créanciers restructurés touchent environ 30% des sommes initialement dues.

Le gouvernement argentin a choisi de ne pas payer les 1,3 milliard de dollars redoutant de déclencher une avalanche de réclamations des autres créanciers auxquelles Buenos Aires ne pourrait pas faire face.

L'agence de notation Standard and Poor's (S&P) avait aussitôt abaissé la note de l'Argentine d'un cran à "défaut sélectif".

Buenos Aires risque désormais des mesures de rétorsion des fonds "vautours" qui ont tenté par le passé de faire saisir des biens argentins à l'étranger, mais aussi des créanciers qui n'ont pas reçu leur versement du 30 juillet.

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"Le pays pénètre sur un territoire où il est impossible de prédire ce qui va se passer. Un défaut est un défaut, même s'il ne dure que quelques jours. Et ce sera pire si cela dure", avance Joaquin Morales Sola, éditorialiste du quotidien conservateur La Nacion à Buenos Aires.

Dans une lettre adressée au Congrès, une centaine d'économistes américains ont estimé que "le jugement bloquant tout paiement de l'Argentine à 93% de ses créanciers pourrait causer des dégâts économiques inutiles au système financier international et aux intérêts des Etats-Unis, de l'Argentine".

"Mauvaise finance"

Selon les analystes, une des premières conséquences du défaut de paiement est de maintenir l'Argentine à l'écart des marchés internationaux des capitaux, alors que Buenos Aires espérait y lever à nouveau des fonds. Depuis sa faillite en 2001, l'Argentine a progressivement remboursé sa dette grâce notamment à ses exportations agricoles, passant d'un endettement de 160% du PIB à 40% actuellement.

"S'il y a un accord rapide, l'impact sur l'économie argentine sera relativement limité", estime la banque française Natixis dans une note. "Mais le coût d'un défaut prolongé sera substantiel", ajoute-t-elle.

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Jeudi déjà, le groupe français de distribution Carrefour a annoncé qu'il réduirait ses investissements dans ce pays.

Pour le fonds NML, appartenant au milliardaire républicain américain Paul Singer, "pendant ce processus, le médiateur a proposé diverses solutions innovantes, plusieurs d'entre elles étaient acceptables selon nous. L'Argentine a refusé de les envisager sérieusement, et a choisi à la place d'aller au défaut".

"Je suis extrêmement choqué" par l'issue de cette affaire, "la justice américaine juge selon ses propres canons (...) Cela remet en cause une décision d'intérêt général", a dit à l'AFP le ministre français des Finances, Michel Sapin.

La présidente de centre-gauche Cristina Kirchner devait s'exprimer jeudi en fin de journée.

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