Animateur de radio prudent à l'époque des talibans, Masood Sanjer s'est depuis refait une notoriété en demandant des comptes aux plus puissants, testant les limites de la liberté de la presse en cette année de toutes les transitions en Afghanistan.

Son émission Safai Shahar (Nettoyer la ville), à mi-chemin entre l'assistance téléphonique et le tribunal improvisé, permet aux auditeurs d'exprimer à l'antenne leurs frustrations sur des sujets divers, des problèmes de canalisations à la corruption en passant par la criminalité.

Masood Sanjer, 36 ans, y joue les intermédiaires en direct pour la radio privée Arman FM, téléphonant aux autorités pour leur demander des comptes et les inciter à agir.

«Quelqu'un sait-il où se trouve le maire de Kaboul ce matin ?», lançait-il récemment à l'antenne.

Assise à ses côtés avec son téléphone portable en main, une collaboratrice essayait, en vain, de joindre le maire de la capitale afghane, après l'appel d'un auditeur accusant la municipalité de verser des eaux usées non traitées dans son quartier.

«Si vous voyez le maire quelque part, pouvez-vous lui dire que Arman FM cherche à le joindre ? Il ne répond pas à son téléphone», a lancé Sanjer au micro avant d'ajouter, moqueur : «Est-ce qu'il dort toujours ?»

Le présentateur officiait déjà sous le régime fondamentaliste des talibans (1996-2001), mais n'était alors qu'une voix parmi d'autres de la radio publique Voix de la Charia, pesant chaque mot avant de parler. Sa vie en dépendait.

«Une seule erreur, un mot de travers et vous pouviez vous retrouver enfermé dans un conteneur par les talibans», explique-t-il à l'AFP en montrant une photo sépia de lui avec barbe, alors obligatoire, et turban.

«Et maintenant regardez, j'ai juste à allumer le micro et dire ce qui me plaît», dit l'animateur, désormais rasé de près.

Son parcours reflète en quelque sorte la transformation des médias afghans depuis la chute des talibans, qui peuvent défendre des droits en dépit des menaces persistantes de rebelles, cercles conservateurs ou potentats locaux.

«Soif de médias progressistes»

Depuis 2001, des centaines de chaînes de télévision, de radios et de journaux sont apparues en Afghanistan, dont la plupart n'hésitent pas à défier les autorités en dénonçant corruption et népotisme.

«Les médias sont devenus un instrument puissant du pouvoir politique. Tous les hommes politiques savent qu'ils ne peuvent pas survivre sans apparaître dans les médias. De même, aucun homme politique, y compris le président ne peut échapper au regard des médias», remarque Massoumeh Torfeh, spécialiste de la presse afghane et chercheuse à la London School of Economics.

Mais de nombreuses entreprises de presse risquent le dépôt de bilan au moment où le pays est confronté à trois transitions simultanées - militaire, politique et économique - avec le retrait des forces de l'OTAN, les soupçons de fraude qui entachent l'élection du successeur du président Hamid Karzaï et un ralentissement économique lié aux incertitudes sur l'avenir du pays.

L'aide financière internationale, qui a maintenu en vie de nombreux médias, commence à baisser à mesure que la coalition étrangère plie bagage.

Mais Saad Mohseni, président du groupe privé Moby qui possède plusieurs chaînes audiovisuelles, dont la télévision très populaire Tolo TV et Arman FM, reste optimiste sur l'avenir. Selon lui, malgré une économie chancelante, les médias ont attiré davantage d'annonceurs cette année.

M. Mohseni, surnommé «le Rupert Murdoch de l'Afghanistan», s'est taillé la réputation d'un magnat qui cherche à repousser les limites de la liberté de la presse, et parfois à défier les autorités.

Son groupe s'est aussi attiré la colère des fondamentalistes pour la diffusion de populaires séries turques aux personnages féminins parfois coquins.

«Il y a une énorme différence entre l'Afghanistan de 2001 et l'Afghanistan d'aujourd'hui», assure à l'AFP M. Mohseni, dans son bureau de Kaboul parsemé de petites télévisions incrustées au mur.

Selon lui, les jeunes afghans, majoritaires (65% de la population a moins de 25 ans), «ont soif de médias progressistes» et «cela leur donne de l'espoir».

Mais du chemin reste à faire, admet-il, car il y a toujours «des gens qui essaient de ramener l'Afghanistan dans la direction opposée».