Le Mémorial de la Shoah de Milan s'ouvre aux migrants pour vaincre l' "indifférence"

Dans le Mémorial de la Shoah de Milan on peut lire sur un mur de béton gris le mot ” Indifférence” . Il accueille le visiteur en ce site peu visible à l’arrière de la gare centrale, aussi connu sous le nom de “binario 21” (quai 21).

 Auteur / Source / Crédit : GIUSEPPE CACACE / AFP
Auteur / Source / Crédit : GIUSEPPE CACACE / AFP

Le mémorial a été ouvert en 2013 sous les voies, à l’endroit exact où des centaines de juifs furent enfermés dans des wagons à bestiaux, puis envoyés vers les camps d’extermination pendant la Seconde guerre mondiale.
Depuis une dizaine de jours, ce lieu en grande partie souterrain, froid et solennel, a trouvé une autre vocation: chaque nuit, il accueille de 30 à 35 réfugiés, pour la plupart Erythréens ou Ethiopiens.
Nous disons qu’il faut lutter contre l’indifférence. Nous ne pouvions pas rester indifférents nous-mêmes” au sort des centaines de migrants qui se massent chaque nuit aux abords de la gare, explique le vice-président de la Fondation du Mémorial, Roberto Jarach. Quelque 70.000 personnes ont débarqué en Italie depuis le début de l’année.
Au Mémorial, les migrants dorment côte à côte sur des lits de camp, dissimulés au public par des cloisons. Ils ne sont qu’à quelques mètres de l’exposition principale, constituée d’authentiques wagons de l’époque, photos et installations vidéos avec le nom des déportés.
En ce tout début de matinée, beaucoup sont déjà partis, certains dès 04H00 (02H00 GMT) pour attraper un train vers le nord. D’autres grignotent des biscuits distribués par des volontaires de la communauté catholique Sant’Egidio. Un lion en peluche et des vêtements traînent sur les couches désertées. Les trains passent en grondant à l’étage supérieur.
Gemal, un Erythréen de 26 ans, assure dans un anglais approximatif avoir “très bien dormi” et apprécié l’aide reçue. Parti en 2003 de son pays pour des raisons politiques, il est passé par le Soudan et par Israël, d’où il dit avoir été chassé. Il espère rejoindre son frère en Allemagne “dès que possible”. Même écho auprès de Luwame, elle aussi Erythréenne et âgée de 20 ans. Sabots roses aux pieds, elle se dirige vers la gare d’où elle espère gagner la Suède.
L’idée de faire une place aux migrants dans le musée est née il y a deux mois, lors d’un afflux massif de réfugiés syriens, qui a poussé la mairie et la gare de Milan à chercher des places d’hébergement tous azimuts. A l’époque, le Mémorial n’avait pu s’exécuter, le lieu pressenti étant mal équipé et les visites scolaires nombreuses: “il y avait trop d’obstacles”, explique M. Jarach.

“LES BRAVES ITALIENS”

Puis a germé l’idée de les placer à un autre endroit du musée, dans ce qui devrait être un vestiaire. Les difficultés se sont évanouies en à peine un jour et demi, “un vrai blitz !”, se félicite le responsable.
Les migrants ont ainsi accès aux très design toilettes du musée, où une douche a été bricolée. “Les robinets sont électroniques, ce n’est pas facile de prendre une douche avec”, s’amuse M. Jarach. Les sèche-mains à air chaud ont été abondamment mis à contribution pour la lessive.
Liliana Segre, 85 ans, fut déportée en 1944 du “binario 21” à l’âge de 13 ans vers Auschwitz avec son père, qui y périt. Aujourd’hui figure-clé du Mémorial, elle salue sans réserve son initiative.
“Voir des hommes armés qui repoussent des gens me rappelle des choses que je n’oublierais jamais même si je vivais cent ans”, déclare-t-elle en référence aux récents accrochages entre migrants et policiers français à la frontière franco-italienne à Ventimille. Les passeurs de Méditerranée quant à eux lui rappellent les “braves Italiens” qui trahissaient les Juifs cherchant désespérément à gagner la Suisse, les livrant aux autorités après les avoir dépouillés.
Selon elle, l’injonction “Indifférence” a toute sa place à l’entrée du Mémorial.
“Je sais que ce mot étonne et cela me réjouit. C’est déjà quelque chose d’important: si on ne s’étonne plus, il n’y a plus d’espoir. Je voudrais juste qu’il y ait un ajout: “+Toi, retourne-toi, regarde l’autre+”, ajoute-t-elle.
Amélie Herenstein

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