Quatre femmes sont actuellement hébergées à la ferme Baudonne, située à Tarnos dans le sud des Landes, la troisième du mouvement Emmaüs (Aude) mais la première à accueillir des femmes en France et en Europe

Quatre femmes sont actuellement hébergées à la ferme Baudonne, située à Tarnos dans le sud des Landes, la troisième du mouvement Emmaüs (Aude) mais la première à accueillir des femmes en France et en Europe

afp.com/Philippe LOPEZ

Les genoux dans la terre, celle qui se fait appeler Baby Giial s'affaire depuis 8H30 sous une grande serre encore en construction. Armée d'une grosse pince coupante, elle est en train de donner un dernier tour de vis à un tuyau d'irrigation, guidée par le maraîcher.

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"C'est bon ? Encore ? Enlève tes doigts !", s'exclame-t-elle. Son rire communicatif se répand à toute vitesse sur les quelque 2,5 hectares de terrain, jusqu'à sa bordure où deux autres détenues plantent des piquets en bois.

Quatre femmes sont actuellement hébergées à la ferme Baudonne, située à Tarnos dans le sud des Landes, la troisième du mouvement Emmaüs - après celles de Moyembrie (Aisne) et Lespinassière (Aude) - mais la première à accueillir des femmes en France et en Europe, selon son directeur Gabi Mouesca.

Cet ancien prisonnier basque, qui a passé dix-sept ans derrière les barreaux et lutte depuis sa sortie il y a vingt ans contre les conditions indignes de détention, a dû affronter des "vents" contraires, notamment dans le voisinage, pour ouvrir cette ferme "féministe".

Minoritaires en prison, le plus souvent isolées dans des petits quartiers au sein d'établissements pour hommes, les femmes ont peu accès aux activités. Elles sont aussi "les grandes perdantes" en terme de réinsertion, estime Gabi Mouesca.

Avant l'ouverture de la ferme Emmaüs Baudonne à l'automne, les placements à l'extérieur dits "hébergés", des mesures d'aménagement de peine prononcées par un juge, étaient rares, voire inexistants. Pourtant "de nombreuses études montrent qu'une sortie de détention organisée est le meilleur rempart contre la récidive", pointe Gabi Mouesca.

Sa ferme comptera à terme douze places, pour des placements de quatre mois à deux ans. La structure, qui accueille actuellement des femmes condamnées à des peines de deux à quatre ans, devrait être ouverte plus tard aux plus longues peines.

- Un pied dehors -

A l'arrivée des détenues, "la confiance est le premier élément qui est mis sur la table", insiste le directeur.

Ce lieu à l'air libre, sans hauts murs ni barbelés, ce "n'est pas le Club Med", prévient-il encore.

Les femmes, "aux champs par tous les temps", "travaillent dur": elles ont le statut d'ouvrières agricoles, rémunérées au Smic pour 26 heures hebdomadaires.

Le repas du midi est préparé à tour de rôle et partagé avec les salariés de la ferme et les bénévoles. Les après-midis sont consacrés au "retour à la société": démarches administratives, santé, aide au budget, formation, emploi...

"On travaille sur les stigmates de l'incarcération, sur le rapport au corps, l'estime de soi. C'est un accompagnement renforcé pour qu'elles puissent acquérir de l'autonomie", explique Maude Candolini, travailleuse sociale à la ferme.

Chargée du "recrutement", elle s'est rendue dans les 56 établissements pénitentiaires accueillant des femmes pour présenter le projet.

Baby Giial a postulé "le jour même". Cette Guyanaise de 30 ans a signé son "bon de sortie" fin novembre, après environ 20 mois d'incarcération, à la maison d'arrêt francilienne de Fresnes puis au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes. A la ferme, elle "recommence à vivre": "On travaille, on a des règles à respecter, c'est une chance d'être ici", vante-t-elle à la pause café.

Arrivée juste après Noël après dix-huit mois de détention, Céline, 43 ans, a "eu l'impression d'avoir un pied dehors, de reprendre (son) souffle et de (se) ressentir vivante". "La prison vous brise et elle a fait de moi un spectre animé de colère. (...) Pendant douze mois, j'ai demandé à travailler, mais on ne nous voit pas, on ne nous entend pas", relate-t-elle avec émotion, attablée dans la cour.

"Tu arrives ici et on te met à l'aise. Ca te fait ressentir que tu existes encore et que tu peux avoir une deuxième chance", renchérit Aïcha, détenue transsexuelle, qui a passé les 17 mois de son incarcération à l'isolement total. Depuis la fenêtre de sa grande chambre avec salle de bain, elle montre le paysage verdoyant de Tarnos, l'absence de barreaux: "c'est comme si je sentais un peu déjà la liberté".

Il reste encore à Aïcha "presque un an à faire" dans la structure. Baby Giial et Céline seront libérées à l'été, avant de voir les premiers légumes bio sortir de terre.

L'objectif n'était de toute façon pas d'en "faire des maraîchères", sourit Gabi Mouesca. "Notre challenge est de les remettre debout et en marche".

Si elle "tâtonne encore", Céline commence à voir "la lumière au bout du tunnel".

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