France - La justice face à un jihadiste «repenti» et ses quatre femmes

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FranceLa justice face à un jihadiste «repenti» et ses quatre femmes

Kevin Guiavarch et ses femmes sont accusés d’avoir rejoint le groupe État islamique. Ils encourent trente ans de prison.

Kevin Guiavarch était enfant de chœur avant de se convertir à l’islam et de se radicaliser.

Kevin Guiavarch était enfant de chœur avant de se convertir à l’islam et de se radicaliser.

AFP

D’enfant de chœur à combattant en Syrie: deux juges antiterroristes ont renvoyé aux assises une figure du jihadisme français qui se dit aujourd’hui «repenti», Kevin Guiavarch, et ses quatre femmes, accusés d’avoir rejoint le groupe État islamique (EI). Tous les cinq, qui s’étaient rendus aux autorités turques à la frontière syrienne en juin 2016, encourent trente ans de prison, selon l’ordonnance des juges en date du 12 mai consultée par l’AFP.

Kevin Guiavarch, 28 ans, est un pionnier: il s’est envolé fin 2012 vers la Syrie avec son épouse Salma O., bien avant la proclamation du califat et la vague d’attentats meurtriers en France. Après une scolarité chaotique, l’ex-enfant de chœur, selon le journaliste David Thomson dans son livre «Les Revenants» (Seuil, 2016), se convertit à l’adolescence à l’islam puis se radicalise.

Il adhère comme Salma O. au groupe islamiste radical Forsane Alizza, le «cœur du jihadisme contemporain en France» selon un magistrat antiterroriste, dissous en février 2012 par les autorités. Après quelques mois en Syrie, Kevin Guiavarch rejoint en juin 2013 l’État islamique en Irak et au Levant. À Raqqa, la capitale autoproclamée du groupe, celui qui est devenu «Abou Ayoub» côtoie le gratin jihadiste francophone, dont des membres des commandos des attentats du 13 novembre 2015. Pour les juges, Kevin Guiavarch est d’abord un combattant: il a pris des tours de «ribat», de sentinelle sur le front. Mais lui et sa femme sont aussi accusés d’avoir recruté.

Désormais «salafiste quiétiste»

Dans le groupe Facebook «Hijra inch’Allah» («émigration vers une terre d’Islam si Dieu le veut»), Salma O. rencontre Parveen L. et l’amène à conclure un mariage religieux avec son jihadiste d’époux en octobre 2013, par Internet via un imam tunisien. Quelques semaines plus tard, Parveen L. foule le sol syrien avec son fils âgé d’un an. La même histoire se reproduira pour Sahra R. puis Sally D. en 2014. C’est à cette époque-là que la famille élargie, qui voit naître quatre enfants, dit commencer à déchanter.

Quand? Les épouses divergent: dès la proclamation du califat, en juin 2014 comme l’affirme Salma O., c’est-à-dire avant les attentats de janvier 2015 à Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hyper Cacher? Ou quelques semaines après, comme l’affirment d’autres épouses? Kevin Guiavarch prétend avoir été traumatisé par un de ses premiers combats. Selon les juges, il assure «n’avoir jamais participé à d’autres combats et commis d’exactions». Il se serait même volontairement blessé pour fuir le front.

Le jihadiste et ses épouses s’organisent alors pour fuir le chaos syrien, et contactent les autorités françaises. Depuis la Syrie, il raconte au journaliste David Thomson qu’il rejette l’EI et qu’il est désormais «salafiste quiétiste». «Je pense que son repentir» dans ce courant non violent de l’islam «est sincère», estime aujourd’hui ce spécialiste, interrogé par l’AFP. «C’était quelqu’un de complètement déconnecté de la gravité des faits dont il s’était rendu responsable. Je n’oublierai jamais cette phrase lorsqu’il a voulu rentrer: «je suis quand même Français, je ne comprends pas que la France ne fasse rien pour m’exfiltrer».

«Gros poisson»

Après plusieurs tentatives, ils rejoignent la Turquie avec leurs six enfants, en juin 2016. Une source proche du dossier qualifiait à l’époque à l’AFP ce retour d’«exceptionnel»: Kevin Guiavarch est un «gros poisson pour les services de renseignement», avides d’informations sur l’EI.

Après quatre ans d’enquête, les magistrats estiment aujourd’hui que «la réécriture complaisante a posteriori de son propre parcours» lors d’interrogatoires devant eux, «concernant aussi bien la nature de son activité sur zone que la période à laquelle il aurait pris ses distances avec (l’EI), ne met pas en échec l’évidence et les preuves de son engagement jihadiste dans la durée». Kevin Guiavarch est donc accusé d’association de malfaiteurs terroriste en vue de commettre des crimes et financement du terrorisme, motifs de sa mise en examen dès janvier 2017.

Le sort de ses épouses a en revanche nourri un long débat, miroir des hésitations des autorités judiciaires sur les poursuites visant les femmes revenant de la zone irako-syrienne. Avocats et magistrats instructeurs estimaient que, sans exaction établie de leur part et avec un départ avant les attentats de 2015, leur présence en Syrie ne constituait qu’un délit, passible de dix ans de prison. Le parquet national antiterroriste (Pnat) prônait, au contraire, une aggravation des charges passible de trente ans de prison, obtenue en janvier auprès de la cour d’appel de Paris.

«Ce dossier illustre l’incohérence de la politique pénale du Pnat qui décide, quatre ans après l’ouverture de l’information judiciaire, de criminaliser des faits qu’ils avaient eux-mêmes et à juste titre qualifiés de délit, s’agissant des femmes qui n’ont jamais combattu sur zone» a critiqué l’avocat de Salma O., Me Joseph Hazan. Les avocats des épouses ont fait appel de cette ordonnance. Le Pnat a lui aussi fait appel pour contester le non-lieu accordé à la mère et au beau-père du jihadiste.

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