Est de l'Ukraine: reprendre le train bleu, malgré la peur

Le train effectuant la liaison Iassynouvata-Lougansk en Ukraine le 28 mars 2015
Le train effectuant la liaison Iassynouvata-Lougansk en Ukraine le 28 mars 2015 © AFP - Dimitar Dilkoff

Temps de lecture : 3 min

Bravant leur crainte d'essuyer des tirs, ils sont montés au petit matin à bord du train bleu, à Iassynouvata. Après sept mois sans liaison ferroviaire dans cette région de l'est rebelle de l'Ukraine, la joie de retrouver leurs proches a été la plus forte.

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Dans l'est de l'Ukraine, la liaison Iassynouvata-Lougansk a repris samedi à la faveur d'un cessez-le-feu précaire conclu en février entre les rebelles prorusses et l'armée ukrainienne et après la réparation de rails, câbles et gares pulvérisés en août sur le parcours.

Lorsqu'on a passé des jours et des nuits reclus dans des caves pour se protéger des bombardements, monter à nouveau à bord d'un train est une fête. Même si le wagon de tête n'est pas la cabine du conducteur mais un dispositif anti-mines.

"Je suis très, très contente ! Je n'ai pas vu ma mère depuis un an...", dit les yeux brillants Elena Panova, foulard coloré et sac-à-main en faux python. "Je suis tellement contente que je voudrais que le trajet ne s'arrête jamais !"

Elena, ouvrière dans une usine de saucissons à Donetsk, en apporte quelques-uns à sa mère diabétique de 75 ans, qui habite un village proche de Stankhanov. Elle a aussi glissé dans son bagage de la viande, des conserves et de l'insuline.

Un passager dans un train à la station d'Enakievo en Ukraine le 28 mars 2015 © Dimtar Dilkoff AFP
Un passager dans un train à la station d'Enakievo en Ukraine le 28 mars 2015 © Dimtar Dilkoff AFP

"Grâce au train, je vais aussi pouvoir aller au cimetière familial avant Pâques" (le 12 avril ndlr), se réjouit cette femme pimpante de 51 ans. "J'ai un peu peur des tirs, mais j'espère que ça va aller, mon mari resté à la maison est très inquiet pour moi".

Le train serpente parfois à quelques km à peine de la ligne de front. Sur le quai avant le départ, le "ministre" des Transports de la république autoproclamée de Donetsk, Semen Kouzmenko, est venu rassurer les voyageurs.

Quelques banquettes en skaï plus loin, Alexandre Zavgorodny, 42 ans, s'impatiente de retrouver, à Lougansk, sa femme et son fils, qui a fêté ses 11 ans jeudi.

"Je ne les ai pas vus depuis deux mois. Et la fois d'avant, c'était six mois plus tôt parce qu'ils étaient partis se réfugier à Odessa". Lui travaille à Makiïvka comme chauffeur routier. Le train lui évite un long, coûteux et aléatoire trajet en bus.

- ' La vie qui reprend ' -

Sept mois qu'elles attendaient ce jour: en uniforme de contrôleuse, Lioudmila, Victoria et Elena déambulent, radieuses. Qu'importe s'il n'y a qu'une dizaine de passagers, qu'importe si l'un d'entre eux n'a pas de ticket, on ferme les yeux.

"C'est notre vie qui reprend. On venait au dépôt pour toucher le salaire minimum et survivre. Ca a été très difficile", témoigne Lioudmila, 54 ans et 20 ans de métier au compteur. "Aujourd'hui on a peur pour la sécurité bien-sûr, comme tout le monde", avoue-t-elle.

Chacun contemple le paysage -- usines métallurgiques dont s'échappent de hautes fumées blanchâtres, maisons détruites, arbres morts -- dans un silence religieux. Personne n'a cependant entreposé d'effets dans les filets à bagages, comme s'ils n'osaient vraiment s'installer.

Une heure trente après le départ, bruits suspects. Le train s'arrête. Puis fait marche arrière. Angoisse dans les compartiments.

Vue d'Enakievo depuis le train effectuant la liaison entre Iassynouvata et Lougansk le 28 mars 2015 © Dimitar Dilkoff AFP
Vue d'Enakievo depuis le train effectuant la liaison entre Iassynouvata et Lougansk le 28 mars 2015 © Dimitar Dilkoff AFP

Sergueï, le conducteur, sort en trombe de la cabine, casquette vissée sur la tête, mégot au coin des lèvres. Verdict: le train est plus haut qu'une ligne électrique.

"On a essayé le trajet hier (vendredi) avec une locomotive mais le train n'a pas la même hauteur. Je m'attendais à un problème comme ça, de toute façon c'est la première fois, c'est normal. On va réparer", dit-il.

Sergueï n'a pas droit à l'erreur. "Je sais qu'aujourd'hui je ne suis pas seulement le conducteur du train. Il ne faut pas que je déçoive tous ces gens".

Dans un mouvement presque inconscient, la dizaine de voyageurs se regroupe dans le même wagon, rongés d'inquiétude.

Le train repart !

Aux abords de la gare de Vougleguirsk, les habitants sortent saluer le train. Dans un jardinet, deux enfants emmitouflés agitent frénétiquement la main, en souriant.

28/03/2015 17:24:35 - Iassynouvata (Ukraine) (AFP) - Par Béatrice LE BOHEC - © 2015 AFP