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Interview

« L'AFP reste confiante même s'il y aura des lendemains difficiles », dit son PDG

Dans une interview aux « Echos », Fabrice Fries, le PDG de l'Agence France Presse (AFP), détaille les conséquences de la crise sanitaire pour l'entreprise. Son modèle d'abonnement lui permet de résister, même si elle connaîtra forcément un impact.

Fabrice Fries, PDG de l'AFP : « Nous sommes présents sur tous les endroits du déconfinement, à Paris aujourd'hui sur la ligne 13, à Bruxelles pour la réouverture des magasins, à Prague pour la réouverture des théâtres et cinémas ».
Fabrice Fries, PDG de l'AFP : « Nous sommes présents sur tous les endroits du déconfinement, à Paris aujourd'hui sur la ligne 13, à Bruxelles pour la réouverture des magasins, à Prague pour la réouverture des théâtres et cinémas ». (Joël Saget/AFP)

Par Fabienne Schmitt, Nicolas Madelaine

Publié le 11 mai 2020 à 17:01Mis à jour le 13 mai 2020 à 11:51

Fabrice Fries, le président-directeur général de l'Agence France Presse (AFP), détaille aux « Echos » comment il gère la crise sanitaire entre incertitudes sur les revenus à venir, et, néanmoins, l'assurance, à ce stade, de tenir l'objectif de retour à l'équilibre en 2021, grâce à un modèle économique suffisamment résistant.

Comment une organisation éclatée en 200 bureaux de par le monde comme l'AFP a-t-elle réagi à la pandémie ?

Par nos bureaux en Asie, nous avons été sensibilisés très tôt au confinement. Le passage au télétravail s'est fait dans des conditions qui m'ont bluffé. Là où, à notre siège parisien, on a d'habitude un millier de salariés, on n'en avait ces dernières semaines qu'une quarantaine alors que le télétravail n'était pas dans les habitudes de la maison. La mobilisation a été incroyable, il n'y a eu aucune rupture de service. Nous avons porté une attention extrême au détail et à la logistique et n'avons jamais souffert de pénurie d'équipements de sécurité. Notre bureau de Hong Kong (75 personnes) a envoyé des masques aux équipes en Espagne et en Italie. Nous avons connu à ce jour 80 cas de contamination, soit à peu près 3 % de nos 2.600 salariés, aucun cas de réanimation. En ce lundi, nous donnons de nouvelles consignes. Le télétravail reste la règle, nous desserrons le cordon pour accueillir un maximum d'un tiers des effectifs à Paris, mais ce n'est pas un objectif.

Quels dégâts ont été causés sur votre production d'environ 5.000 dépêches, 5.000 images et 250 vidéos chaque jour en temps normaux ?

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Nous nous attendions à une baisse mais elle n'a pas fléchi. Nous avons été au rendez-vous de la crise. Nous étions au début la seule agence présente à Wuhan, et notre couverture texte, photo, vidéo a été complète. Notre base de données sur les contaminations est devenue un outil de référence partout dans le monde. Nos clients nous disent leur satisfaction. Ils apprécient notamment la touche humaine que nous essayons de donner à la crise. Je pense par exemple aux photos des visages d'infirmières de Séoul, couverts de pansements tant les masques les serraient.

Nous sommes aujourd'hui présents sur tous les endroits du déconfinement, à Paris aujourd'hui sur la ligne 13, à Bruxelles pour la réouverture des magasins, à Prague pour la réouverture des théâtres et cinémas. Nous écrivons sur la reprise du championnat de football aux Iles Féroé, le premier à reprendre en Europe. Nous écrivons aussi sur le monde d'après, avec par exemple un sujet sur les mariages en ligne en Chine. Je note que nos sujets hors Covid suscitent à nouveau davantage d'intérêt. La déforestation en Amazonie et la mort de Little Richard sont parmi les plus lus. Peut-être est-ce un tournant ?

Revenus commerciaux de l'AFP* : répartition des clients

Presse : 28,9 %

Télévision : 21,3 %

Agences et redistributeurs : 20,9 %

Entreprises et institutions : 14,1 %

Radios: 10,2 %

Plateformes numériques : 4,6 %**

* 167 millions d'euros en 2019, contre 124 millions de dotation publique.

** Inclut le fact-checking.

Quelles sont les conséquences économiques de la crise pour l'AFP ?

Nous nous attendons à un deuxième trimestre et une fin d'année difficiles même si, à ce stade, nous ne sommes pas pris à la gorge. Notre modèle d'abonnement avec des contrats allant de un à trois ans est un amortisseur, cela nous laisse le temps de voir venir. L'entreprise a retrouvé le chemin de la croissance en 2018, le résultat d'exploitation a augmenté de 20 % en 2019.

Cela dit, si on est sur la bonne trajectoire, pas de triomphalisme, bien sûr, on s'attend à des lendemains difficiles. Notre santé est indexée sur celle de nos clients, les médias, qui représentent 85 % de notre chiffre d'affaires et qui souffrent. Nous devons faire face à des demandes de remises, de suspension et de résiliation d'abonnement. A ce jour, elles ne dépassent pas le million d'euros. Cela reste donc gérable à ce stade, d'autant plus que l'on ne dira pas oui à tout.

Quelles sont vos projections pour la fin de l'année ?

Les seules projections que nous avons pu établir avec précision portent sur notre filiale sportive allemande SID et sur une autre filiale, AFP-Services, qui fait des reportages photos-vidéos à la demande d'entreprises, où l'on voit déjà un impact. Si l'on prend comme hypothèse une reprise en septembre, on estime que l'on va perdre un trimestre de chiffre d'affaires, soit un total de 5 millions d'euros sur les 20 millions de revenus générés par ces deux filiales.

On n'est pas capables de faire le même exercice sur notre coeur de métier car il y a encore trop d'inconnues. Ce que l'on peut dire à ce stade, c'est que nous sommes dans les clous de notre plan de transformation qui prévoit un retour à l'équilibre économique durable en 2021. Sur le volet de la réduction des charges de 14 millions d'ici à 2023, nous aurons fait 60 % du chemin dès cette année.

L'enjeu le plus difficile, c'est la croissance des revenus, on a un objectif de 23 millions de revenus supplémentaires en 2023 sur la seule image. Est-ce que notre plan volera en éclats sous l'effet de la crise ? L'interrogation est légitime, on ne prétend évidemment pas avoir gagné la partie mais on a maintenu l'objectif. On doit rester conquérants, même si la prospection commerciale va être plus difficile.

Comment comptez-vous amortir le choc ?

La crise met en valeur notre réseau mondial et nos 1.700 journalistes sur le terrain. L'agence est une composante essentielle des plans de continuité des médias, qui vont faire face aux contraintes budgétaires, à l'impossibilité de se déplacer et toujours à l'impératif de réduction de leur bilan carbone. Difficile donc de se passer de nous.

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Par ailleurs, l'investigation numérique [lutte contre les 'infox', NDLR] est devenue notre relais de croissance le plus important, et de très loin (même si on part d'un petit revenu). Nous sommes partis les premiers et nous avons désormais 80 fact-checkers dans le monde. Notre client Facebook nous a ouvert en début d'année les portes du marché américain et nous ouvrons ces jours-ci un service germanophone et un autre dans les Balkans, j'ai signé le contrat dimanche. L'audience de mars a représenté à elle seule toute celle de 2019 . Cela se traduit par une hausse des revenus, nos clients nous payant au volume.

Nous espérons par ailleurs des revenus supplémentaires liés aux droits voisins. Je veux croire au comportement vertueux de Google. Nous avons jusqu'à fin septembre pour trouver un accord . Enfin, nous réfléchissons à d'autres projets de diversification de nos revenus.

Bénéficierez-vous d'une aide exceptionnelle de l'Etat ?

L'Etat a déjà augmenté son soutien à l'AFP l'an dernier pour l'aider à financer son plan de transformation. Sa dotation a été augmentée de 11 millions en 2019, à 124 millions, elle retombera à 119 millions cette année, avant de redescendre à son niveau de 2018 en 2021 quand les effets de notre plan de transformation se feront sentir. On ne table pas sur un coup de pouce supplémentaire. L'Etat est déjà très sollicité et doit répondre en priorité aux médias les plus touchés par la crise. J'ajoute que l'AFP n'a pas eu recours au chômage partiel sur son coeur de métier.

Nicolas Madelaine

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