Covid-19 : sale temps pour les Africains de Canton

Confrontés à un climat de suspicion dans un pays encore sous tension sanitaire, mais aussi à un certain racisme, les Africains vivent des moments difficiles.

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Les Africains de la plus grande ville du sud de la Chine sont mises en difficulté par les populations et par les forces de l'ordre.
Les Africains de la plus grande ville du sud de la Chine sont mises en difficulté par les populations et par les forces de l'ordre. © FRED DUFOUR / AFP

Temps de lecture : 9 min

« Kenyans in China : rescue us from hell. » C'est un véritable appel au secours qu'a lancé la communauté kenyane de Canton, la plus africaine des villes chinoises, victimes de discrimination en raison du Covid-19. Et les témoignages qu'on peut lire dans le quotidien kényan Daily Nation de ce samedi 11 avril sont glaçants. « Nous sommes victimes de discrimination parce qu'ils pensent que nous sommes porteurs asymptomatiques de coronavirus. Certains nous détestent sans raison. Honnêtement, nous devons rentrer chez nous », témoigne sous le couvert de l'anonymat une Kényane.

Expulsions, suspicion, interdictions d'entrée dans les commerces

Plusieurs Africains, particulièrement nombreux dans cette métropole de 15 millions d'habitants de la province du Guangdong dans le Sud, ont été expulsés de leur logement, puis refusés dans des hôtels, certains disent ainsi avoir été contraints de dormir dans les rues. Ces incidents sont survenus après que cinq Nigérians de Canton, testés positifs au Covid-19, se sont échappés de leur quarantaine pour se rendre dans plusieurs restaurants et lieux publics, d'après un communiqué de la municipalité. Conséquence : les autorités ont dû tester ou placer en quarantaine quelque 2 000 personnes avec lesquelles ils avaient été en contact, a rapporté un média d'État chinois.

Canton a, jusqu'au dernier bilan établi jeudi, fait état de 114 cas « importés ». Parmi eux figurent 16 Africains, le reste étant des ressortissants chinois. Une statistique qui n'a toutefois pas freiné la suspicion à l'égard de la communauté africaine de la ville. La Chine, qui a désormais largement endigué l'épidémie de Covid-19, est sur le qui-vive face aux personnes arrivant de l'étranger, potentiellement porteuses du coronavirus et donc susceptibles de provoquer une deuxième vague épidémique. Mais vis-à-vis des Africains, cette suspicion va encore plus loin et a entraîné un torrent de commentaires haineux sur les réseaux sociaux. Certains ont même appelé à expulser de Chine tous les Africains. « J'ai dû dormir sous un pont pendant quatre jours sans rien à manger. Je ne peux même pas acheter de nourriture, car aucun magasin ou restaurant ne m'accepte », affirme à l'AFP Tony Mathias, un étudiant ougandais. Plusieurs vidéos faites par des Africains vivant dans la grande métropole ont été mises en ligne sur la Toile.

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Des témoignages accablants pour la Chine

D'après plusieurs témoignages, la police chinoise les aurait expulsés de force et aurait parfois exigé leurs pièces d'identité. « La première chose qu'ils demandent, ce sont les documents. Certains policiers vous permettent de garder le passeport, mais d'autres le prennent », explique un témoin cité par le Daily NationSelon Tony Mathias, les policiers n'ont exigé ni dépistage ni quarantaine, mais lui ont tout simplement dit… d'aller dans une autre ville. Des témoignages difficiles à vérifier, car d'autres membres de la communauté ont été soumis à des dépistages massifs et placés en quarantaine.

D'où la colère de Thiam, un étudiant guinéen, qui affirme à l'AFP avoir été testé négatif. Selon lui, la police a exigé qu'il soit placé en quarantaine, même s'il n'a pas quitté Canton depuis le début de l'épidémie en janvier. « Toutes les personnes que j'ai vu être testées sont des Africains. Les Chinois peuvent se déplacer librement. Mais quand tu es noir, tu ne peux pas sortir », dit-il. Contactée, la police de Canton a refusé de répondre aux questions de l'AFP.

Denny, un marchand nigérian expulsé de son appartement, dit avoir passé plusieurs jours dehors, avant que des policiers ne le conduisent finalement en quarantaine dans un hôtel. « Même si on est testé négatif, la police ne nous autorise pas à rester dans notre appartement. Aucune raison n'est donnée », assure-t-il à l'AFP.

Africains et Africains-Américains en première ligne

La plupart des personnes qui se déplacent dans le pays doivent subir une quarantaine de 14 jours dans leur lieu de destination. De crainte que ce soit bien les Noirs qui soient visés, le consulat américain a mis en garde les Afro-Américains qui se rendraient à Guangzhou. « Le consulat général américain conseille aux Afro-Américains ou à ceux qui pensent que les autorités chinoises peuvent les soupçonner d'avoir des contacts avec des ressortissants des pays africains d'éviter la zone métropolitaine de Guangzhou jusqu'à nouvel ordre », a indiqué l'alerte.

Les États-Unis ont saisi l'occasion pour dénoncer la « xénophobie des autorités chinoises à l'égard des Africains » et fustiger Pékin pour son manque de transparence. « Les abus et mauvais traitements à l'encontre des Africains vivant et travaillant en Chine rappellent tristement à quel point le partenariat entre la République populaire de Chine et l'Afrique est creux », a déclaré à l'AFP un porte-parole du département d'État américain. « Au moment où nous devrions nous soutenir les uns les autres pour surmonter une pandémie que les responsables chinois ont cachée au monde de manière irresponsable, les autorités chinoises se consacrent, elles, à mettre des étudiants africains à la rue sans nourriture ni abri », a-t-il déploré. « Il est malheureux, mais pas surprenant, de voir ce genre de xénophobie des autorités chinoises à l'égard des Africains. Tous ceux qui observent les projets chinois à travers l'Afrique connaissent ce genre de comportement injuste et manipulateur », a-t-il ajouté.

« Africatown »

Pour bien comprendre la situation, il faut s'imaginer une zone de dix kilomètres carrés totalement dévouée au commerce avec des milliers de négociants, commerçants. Les Chinois ont vite fait de la surnommer « Chocolate City ». Là-bas, on vient pour se procurer des produits de toutes sortes : mèches de cheveux naturelles, chaussures, tissus, quincaillerie pour ensuite remplir son conteneur, qui ira ensuite stationner dans les ports de Douala, Dakar, Mombasa. Mais pour toujours gagner encore plus d'argent, les commerçants africains sont bien souvent obligés de mêler vie quotidienne et travail. C'est pourquoi on retrouve aussi des lieux de vie, comme ses meublés à la semaine, mais aussi des salons de coiffure, des restaurants, certains légaux, d'autres clandestins.

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Commentaires (3)

  • outaouais

    Ceux qui ont connu comme moi la Chine il y a plus de quarante ans savent très bien combien les Chinois considèrent les Africains comme des individus de seconde classe, pour être poli. Il n'y a a pas que les "blancs" à être racistes... C'est triste, mais c'est ainsi.

  • Claybasket

    Les nouveaux cas ne peuvent être qu'importés en Chine puisque le parti a décidé qu'il avait maîtrisé la maladie

  • pescadoupasfraichou

    Les Africains pourraient aller se réfugier en Nouvelle Caledonie, en Polynesie Francaise, à Hawaii. Ils découvriraient l'histoire de ces beaux pays, a la manière du père de Barack Obama, et pourraient disserter sur la famille Flosse à Tahiti. . .