AVENTURE Dans les montagnes du Pakistan, une petite révolution au féminin

Crampons aux pieds, piolet à la main, Takh, Duor et leurs amies s’attaquent à un flanc de montagne escarpé, passage obligé pour devenir guide dans les hauts sommets du Pakistan où les femmes mènent leur petite révolution en se glissant dans les emplois hier encore réservés aux hommes.
AFP - 23 oct. 2014 à 11:35 | mis à jour le 23 oct. 2014 à 11:37 - Temps de lecture :
AFP / Aamir QURESHI
AFP / Aamir QURESHI

Coquet village perché à 3.100 mètres d’altitude, dans les splendeurs de l’Himalaya, aux confins du Pakistan, près de la frontière chinoise, Shimshal fait tout simplement rêver avec ses pics enneigés, ses vallées verdoyantes, et le soleil qui cuivre la peau. Après un dernier point sur la sécurité et une ultime vérification du matériel, huit jeunes femmes s’élancent sur la montagne pour un nouvel entraînement sous le regard averti de leur instructeur Niamat Karim.

Un jour, elles aussi pourront devenir guide en haute montagne pour les expéditions d’étrangers, tout comme les hommes de la région. «Mon oncle et mon frère sont tous deux des alpinistes... Depuis mon enfance je les vois partir de la maison, je jouais même avec leur équipement d’alpinisme, c’était mon jouet, je n’avais pas de poupée», se souvient Takht Bika, une apprentie guide. «Le jour où ils m’ont dit que cette école d’alpinisme pour filles ouvrait, j’ai sauté de joie et d’excitation».

L’institut d’alpinisme de Shimshal, pionnier du genre au Pakistan, a été ouvert en 2009 avec l’aide du grimpeur italien Simone Moro, un habitué de l’Himalaya pakistanais, où sont plantés certains des plus hauts sommets du monde comme le K2 et le Nanga Parbat. «Nous voyons venir de l’étranger beaucoup de femmes alpinistes professionnelles. Quand les anciens du village ont vu ces étrangères qui escaladent les montagnes, ils se sont dit: "pourquoi pas au Pakistan?". C’est vrai que le Pakistan est à la traîne sur cette question, mais nos filles ici ont lancé la tendance et elles prendront de l’assurance au fil du temps», explique Niamat Karim, entraîneur à l’école locale d’alpinisme.

Une ancienne élève de l’institut, Samina Baig, est déjà passée à l’histoire en devenant l’an denrier la première Pakistanaise à escalader l’Everest. Takht et ses camarades sont, elles, les premières à suivre la formation en haute altitude. Les huit étudiantes ont ainsi escaladé des sommets à plus de 6.000 mètres dans le cadre de leur formation qui tranche avec l’image de la femme pakistanaise au foyer. Dans la vallée de Hunza, région himalayenne où la majorité de la population suit la branche ismaélienne de l’islam chiite, plus libérale, les femmes abattent peu à peu les tabous. Mère de deux enfants, Duor Begum s’entraîne à l’escalade pour subvenir aux besoins de sa famille depuis la mort de son mari lors d’une randonnée en montagne. «Je prends ces risques pour l’avenir de mes enfants, pour qu’ils aient une bonne éducation», souffle-t-elle, espérant devenir guide professionnelle. «C’est difficile, et cela prendra encore du temps pour que les femmes en fassent leur profession, mais mes enfants sont ma source d’espoir», ajoute cette petite femme aux yeux marrons ennoblis de douces pattes d’oie.

  La petite maison dans la vallée 

Plus bas dans la vallée, loin des sommets enneigés, Bibi Gulshan, mère aussi de deux enfants dont le mari, un militaire, est mort au combat, se bat également pour changer les mentalités au Pakistan. Son métier: menuisière. «J’ai commencé dix jours après la mort de mon mari. Mes proches se moquaient de moi, ils disaient que je devais pleurer mon mari plutôt que de faire un emploi d’hommes, mais je n’avais pas le choix, je devais subvenir aux besoins de mes enfants», assure-t-elle. Bibi Gulshan a suivi sa formation dans le cadre du programme d’entreprise sociale pour femmes de la fondation Aga Khan. Créé en 2003, ce projet emploie désormais 110 femmes de 19 à 35 ans.

Avec les 80 dollars qu’elle gagne chaque mois à l’atelier, Bibi Gulshan peut faire face aux dépenses de la famille et envoyer ses enfants à l’école. Et elle a fabriqué le mobilier de la maison familiale à l’instar d’Amna, l’une des premières menuisières de la vallée. «J’ai fait les étagères, créé un espace pour le lit, une penderie pour les vêtements, des armoires pour la télé et les objets. J’ai tout changé dans ma maison, j’ai même sculpté les boiseries», dit-elle fièrement. «A la fin ma maison ressemblait à une boîte en bois. Les gens du village venaient la regarder, admiratifs», espérant que cette petite révolution dans les sommets dévale un jour sur le reste du pays.